Sur – Oeste

Des yeux et des oreilles en Equateur (et en Amérique Latine)

Une presse sous pression 31 mars 2010

Filed under: Médias — juliebanos @ 19:35
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Trois ans de prison ferme et 10 000 dollars de frais juridiques. C’est la condamnation pour « injures calomnieuses »  qui menace Emilio Palacio, éditorialiste équatorien à l’Universo, journal de Guayaquil, la capitale économique du pays. « Camilo el maton » (Camilo, le dur, le maton), un éditorial daté d’août 2009 est l’objet du délit. C’est dans ces colonnes qu’Emilio Palacio s’attaque à Camilo Samán, président du Directoire de la Coopération Financière Nationale. En l’accusant d’être devenu un « révolutionnaire prospère », le journaliste dénonce  voyages,  fêtes  vie dorée  et corruption en coulisses qui feraient le quotidien de ce responsable d’un organisme financier national.

L’accusé potentiellement corrompu estime que des excuses de la part d’Emilio Palacio auraient évité ces poursuites juridiques. Il s’estime profondément blessé, lui et sa famille.

Une sentence disproportionnée

Reporters sans Frontières s’est rapidement indigné de cette condamnation disproportionnée. La peine est en effet très dure pour quelques lignes,  certes très virulentes, adressées à Camilo Samán. « L’emprisonnement pour ce type de délit contrevient à la jurisprudence interaméricaine à laquelle l’Equateur est tenu en tant qu’état membre de l’Organisation des Etats Américains, l’OEA ». précise le communiqué de RSF.

En Equateur, les réactions s’enchaînent. Sur Twitter et dans leurs médias respectifs, les journalistes s’indignent. « Est ce qu’on accuse Correa lorsqu’il s’énerve, lorsqu’il insulte ?  » La SIP,  Société Interaméricaine de Presse est également choquée par l’annonce de la juge. « Cela va dans le sens inverse de la tendance générale à la dépénalisation des délits d’opinion sur le continent. C’est une menace pour la liberté d’espression » . Le maire de Guayaquil, Jaime Nebot, adversaire farouche du Président Correa (le chef de l’Etat est également originaire de Guayaquil)  a pris lui aussi parti pour l’éditorialiste menaçé d’emprisonnement.

Une simple menace ?

Pas d’affolement cependant ,Emilio Palacio est toujours en liberté, il s’agit d’attendre la décision en appel, et il y a de fortes chances que l’éditorialiste ne connaisse jamais la couleur des barreaux. Pour les analystes équatoriens, cette décision est avant tout une menace, une mise en garde dans un contexte tendu. Le doyen de la faculté de communication de l’Université des Amériques parle même d’une « pena de escarnio – peine quolibet ».

Un contexte médiatique agité

Quelques éléments de contexte pour comprendre  la mauvaise ambiance actuelle entre le pouvoir et les médias.

-En Equateur les conflits sont frontaux. Certains éditorialistes ne mâchent pas leur mot envers Correa. Jorge Ortiz (de Teleamazonas), Carlos Vera (mis à la porte d’Ecuavisa pour ses polémiques)  ou Emilio Palacio (l’accusé du moment) ne cessent d’affronter le Président à coups d’insultes et de reproches réciproques…….Un Président qui ne se prive pas de répondre aussi violemment   lors de ses discours hebdomadaires de plusieurs heures le samedi matin à la télé.

– En parallèle, les mesures judiciaires s’accumulent contre les médias. Teleamazonas a été fermé quelques jours, pour non respect de la loi, la radio communautaire shuar « La voz de Arutam » a été fermée pour « incitations à la violence contre le gouvernement », et la taxe sur le papier est passée à 12%, déchaînant les colères des journaux.

Nouvelle loi de communication

Pour améliorer l’état du secteur, en septembre 2009, le gouvernement annonce une nouvelle « Ley de comunicación ». C’est en effet un secteur clé pour le Président qui s’appuie sur les médias pour contrôler son image. Il  intervient énormément à la télé et à la radio et a crée de nouveaux médias d’Etat (qui s’ajoutent à la vingtaine déjà existants)  pour appuyer sa politique: Une agence d’information : Andes et un journal gratuit en préparation. A l’annonce du texte officiel de la loi, la presse descend dans la rue, les manifestations se multiplient et les journalistes scandent : « Ley Mordaza !, Loi Baillon ! » Non respect des traités internationaux  des droits de l’homme et volonté de faire taire l’opposition sont les deux principaux reproches faits au gouvernement.

La loi, pourtant vise à réguler la pratique des médias. Chaque organe de presse doit appliquer un code de déontologie réglementé par un organisme de contrôle. Rien de plus normal sauf qu’aucun journaliste ne fait partie de cet organe chargé de réguler la pratique des médias, ne sont représentés que des membres du gouvernement et de la société civile. Les journalistes doivent également être « professionnels », c’est à dire avoir suivi une formation, ce qui a soulevé la colère des éditorialistes en particulier.

La loi vise à restreindre les grands groupes de presse et à faire la distinction entre les médias nationaux, privés et communautaires, mais il n’est pas précisé le degré d’indépendance de ces différents journaux, radios ou télés par rapport au pouvoir.

Ce brouhaha médiatique a cependant caché d’autres aspects passionnants de la loi, le soutien aux médias communautaires, la suppression des monopoles médiatiques, la surveillance du système financier des organes de presse. Un mélange d’idées intéressantes et effrayantes, c’est peut être ça le mandat Correa ?

Pour aller plus loin :

Analyse de l’OPALC (Observatoire Politique de l’Amérique Latine et des Caraïbes) sur la loi de communication

Editorial d’El Tiempo sur la « Ley Mordaza »

Communiqué de Reporters sans Frontières

 

Le quechua ? Qu’est ce que c’est que ça ? 24 février 2010

Filed under: Société — juliebanos @ 19:46

Ca ?                                                                        Ou ça ?

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Oui, mais aussi ça :

Une langue, parlée par 10 millions de personnes (plus que le suédois, l’arménien, le slovaque et presque autant que le tchèque !) dans toutes les Andes, du Nord de l’Argentine en passant par le Chili, la Bolivie, le Pérou, l’Equateur, la Colombie, le Brésil, dans les montagnes mais aussi en Amazonie, dans la jungle.

Le quechua, c’est une langue agglutinante (pas de panique!) c’est à dire que les mots se construisent en collant une suite de mots sur un suffixe. Imposée par les Incas à l’époque de leur hégémonie en Amérique Latine (1er millénaire après JC), elle s’est faite détrôner par l’espagnol. Mais elle n’a jamais disparu. Nommée langue officielle au Pérou en 1975, elle reprend peu à peu du poil de la bête au Chili, ou les écoles enseignent le quechua dans les régions comprenant au moins 20% d’élèves indiens, mais aussi en Equateur où les écoles bilingues sont nombreuses, de la côte à l’Amazonie. Le quechua s’enseigne également à l’université, dans tous les pays andins.
C’est même une langue qui vit avec son époque, puisqu’elle a sa propre page Wikipédia, avec près de 9 000 articles et 1 500 utilisateurs ( plutôt impressionnant quand on sait que le quechua est majoritairement parlé par des personnes isolées géographiquement et coupées d’internet). Enfin, c’est une langue potentiellement universelle, puisqu’il est possible d’apprendre le quechua en ligne, sur ce site par exemple, ou encore celui là , sur le principe de la conversation.

Le quechua, c’est une langue mais c’est aussi une vraie culture qui n’est pas restée figée sous un bonnet péruvien. C’est en quechua que le groupe Wayna a choisi de rapper. Originaires d’El Alto, la « ville rebelle » au coeur de tous les mouvements sociaux en Bolivie, ces indiens Aymara posent leur prose à 4000 mètres d’altitude. Ce qui donne des titres énigmatiques « Chamarkat Sartasiry » et un style…sympathique, mélange de pantalons larges et de chulos, le fameux bonnet péruvien-bolivien-équatorien à longues oreilles. A écouter !

Et à voir !

Uchpa, (cendres en quechua), groupe péruvien a, lui opté pour le rock en quechua. Et il en est fier ! Lisez donc cet entretien avec le leader du groupe, Freddy Ortiz, en quechua bien sûr !(traduction disponible en espagnol aussi).

Enfin, le quechua a laissé des traces, jusque dans notre langue. Lorsque vous rêvez de lama, mangez de la quinoa, buvez du coca, partez dans la pampa, affrontez les pumas …

 

Yasuni fait du bruit !

Filed under: Environnement — juliebanos @ 19:33
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…..A la télé d’abord. Sur Canal +, le 3 mars, vous pourrez voir le documentaire de Laetitia Moreau « Une idée simple…et révolutionnaire » consacrée au projet.

Grande première pour la chaîne ! Avant le visionnage du documentaire, Canal + a prévu de préparer ses téléspectateurs. Une mise en contexte avec le webdocumentaire interactif « Le challenge » en ligne sur Canalplus.fr. Sur le thème du procès Texaco-Chevron, le « Tchernobyl de l’ Amazonie, la réalisatrice de ce documentaire au genre nouveau  nous entraîne au coeur de son travail.

Avec « Le Challenge » c’est au lecteur-spectateur de mener son enquête. Dans la peau d’un journaliste indépendant qui débarque à Quito, il lui est possible, en cliquant, de choisir les différents protagnistes  à interviewer, mais aussi de se renseigner très précisément sur les  enjeux de ce procès pour la région grâce à un bloc notes pédagogique et bien fourni. Des photos, des films, des rencontres au départ de la capitale équatorienne et jusqu’au coeur même de l’Amazonie, permettent de mieux cerner l’étendue des dégâts. La compagnie pétrolière Texaco, rachetée ensuite par Chevron a exploité les gisements de l’Amazonie équatorienne de 1964 à 1990. Elle reconnaît avoir déversé 64 millions de pétrole dans la nature en Amazonie, et n’en a nettoyé qu’une partie, les ¾. Le quart de pétrole restant a contaminé l’eau et cela suffit largement à entraîner cancers, maladies de peau et autres sérieux problèmes de santé pour les habitants de la région. Aujourd’hui ils sont 30 000, colons et indigènes confondus à porter plainte contre Chevron-Texaco.

Vision presque réaliste de la pollution en Amazonie

C’est la zone géographique de Lago Agrio, le « domaine de Texaco » qui est la plus touchée. Mais toute l’Amazonie est concernée, en particulier le parc Yasuni, cette réserve fabuleuse encore préservée. L’enquête nous mène jusqu’au coeur du parc, là ou les responsables commencent à  évoquer un projet un peu fou, le projet Yasuni ITT. Il faudra attendre le 3 mars pour en savoir un peu plus sur Canal +, (mais,si la curiosité est trop forte, vous pouvez aussi lire l’article à ce sujet).

Yasuni fait du bruit !

dans le monde aussi. La tournée internationale de la commission équatorienne en quête de fonds commence à obtenir quelques résultats. En visite dans les pays pétroliers, et dans le Golfe en particulier, elle a obtenu le soutien de l’Egypte. Ce n’est qu’une parole, mais elle est d’or quand on connaît le poids et l’influence de l’Egypte (qui préside actuellement le mouvement des non alignés) sur les décisions politiques et économiques de la région. Une alliance des pays de l’OPEP pour protéger certains gisements ? Au prochain épisode, peut être…

 

« Yasuní es nuestro oxígeno ! » 19 janvier 2010

Filed under: Environnement — juliebanos @ 15:11
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De jeunes équatoriennes manifestent pour défendre le projet Yasuni.

« Yasuní es nuestro oxígeno ! » Ce slogan, sur des autocollants ou des affiches s’inscrit peu à peu dans le paysage équatorien. Yasuni ? qu’est ce que c’est ? Région de la jungle amazonienne, classée réserve mondiale de la biosphère en 1989 par l’Unesco, c’est le territoire des indiens Huaorani, l’un des morceaux de forêt le plus isolé et le plus convoité du pays.

Situé a 300 kilomètres et 12 heures de pirogue de Quito, la capitale de l’Equateur, le parc est un refuge pour toutes sortes d’organismes vivants. Ici, on raconte que l’on trouve autant d’espèces d’arbres dans un seul hectare de forêt que dans toute l’Amérique du Nord. Des chiffres vertigineux que les défenseurs du parc ne cessent de (se) répéter : 1 500 espèces d’arbres, 450 de lianes, 500 espèces d’oiseaux. Ce territoire regroupe à lui tout seul 40% des mammifères du bassin amazonien. Cette avalanche de records s’explique, scientifiquement bien sûr. A la période quaternaire, époque glaciaire (comptez environ -2 millions d’années….) la vie s’est arrêtée sur la planète, sauf ici, au milieu du monde, dans les zones équatoriennes. Durant cette période préservée du froid, les oiseaux, les fleurs et les insectes se sont dépêchés de se multiplier pour constituer cette réserve gigantesque de faune et de flore : le parc Yasuni. On y trouve donc tout ce qui se fait de mieux en terme de grenouilles, reptiles ou scarabées.

Mais ce n’est pas tout ! 20% des réserves de pétrole du pays sont concentrées dans son sous sol. Des gisements de brut estimés à 846 millions de barils, qui pourraient rapporter près de 7 milliards de dollars à l’Etat.

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